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L’Europe et ses indésirables

Entretien avec Jean Ziegler
Auteur de « Lesbos, la honte de l’Europe » (Seuil, 2020)


Mai 2019 : Jean Ziegler est en mission spéciale pour l’ONU sur l’île de Lesbos. Dans son essai Lesbos, la honte de l’Europe, paru en 2020 au Seuil, il ne peut que constater l’ampleur du désastre : des milliers de personnes entassées dans des camps insalubres. Elles sont originaires de Syrie, d’Afghanistan, d’Iran, d’Irak ou du Soudan. Les réfugié-e-s doivent affronter la faim, les violences sexuelles, les maladies. Mais sur le chemin de ces camps, ce sont les autorités qu’ils et elles ont dû affronter, parfois au péril de leur vie.

Dans une stratégie de destruction organisée, coordonnée et financée par l’Union européenne, les garde-côtes turcs et grecs, appuyés par l’agence européenne Frontex, sont chargés d’exécuter le « sale boulot ». Jean Ziegler décrit ces stratégies de push-back : il s’agit par tous les moyens de faire échouer les embarcations déjà fragiles venues de Turquie. Parfois on tente de les faire chavirer en provoquant des vagues, parfois on leur impose de faire demi-tour… quand les zodiacs ne sont pas simplement criblés de balles. À la surveillance maritime s’ajoute la surveillance terrestre par le biais des technologies à la pointe de l’innovation : drones ultraperformants, radars au sol, mitrailleuses à déclenchement automatique.

Jean Ziegler ne mâche pas ses mots dans ce récit accablant. C’est une honte. La honte de l’Europe, notre honte. Il répond à nos questions :

Les camps de réfugié-e-s ont-ils été affectés par le coronavirus ?
Les virus ne connaissent pas de frontière. Bien sûr les camps sont touchés, mais il n’y a aucun moyen de tenir les distances sociales. Le camp de Moria est une ancienne caserne, prévue pour 2’700 soldats. Aujourd’hui ce sont 24’000 personnes qui s’y entassent. La nourriture est insuffisante. Il n’y a qu’un robinet pour 1’000 personnes. En plus de cela, la peur du virus a entraîné la fermeture de la frontière sud de l’Europe et le droit d’asile s’en trouve d’autant plus bafoué.

Et la Suisse, quel rôle joue-t-elle ?
En votant pour le « Milliard de cohésion » à l’Union européenne, le Parlement a participé au financement de la défense des frontières européennes et ses stratégies de refoulement des migrant-e-s. C’est une décision irresponsable. Elle reflète une vision raciste de l’Europe, qui considère les réfugié-e-s comme un danger, et qui cherche à les refouler par tous les moyens possibles.

As-tu un espoir que la situation évolue positivement ?
Je suis malgré tout plein d’espoir. L’Europe est constituée d’États de droit. Dans une démocratie, l’impuissance n’a pas sa place. J’admire le travail de la société civile, des organisations qui se mobilisent sur place et en Suisse pour venir en aide aux réfugié-e-s. Amnesty Suisse notamment, demande que 5’000 réfugié-e-s enfermé-e-s à Moria soient reçu-e-s en Suisse et que le Conseil fédéral se mobilise pour l’évacuation de ces camps. Ce qui nous sépare des prisonniers de Moria ce n’est que le hasard de la naissance. Notre peuple doit se lever pour demander l’évacuation rapide et complète de ces camps inhumains.

Propos recueillis par Frédérique Bouchet

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